Novembre 1942, l’Allemagne nazie envahissait la zone dite libre de France, et donc la ville de Lyon. Très vite, la prison Montluc devenait le triste et terrible symbole de l’Occupation : en moins de deux ans 9000, 10000 personnes (on ne sait pas exactement) y furent jetées. C’étaient des résistants, c’étaient des juifs, c’étaient des passants pris au hasard d’une rafle. C’étaient des hommes, des femmes, des enfants, des vieillards.
Les filets de cette chasse, menée spécialement par Klaus Barbie, s’étendaient sur toute la région, des maquis de l’Ain, du Jura, des Alpes, aux rues de Lyon et des villes voisines ou plus lointaines.
L’internement se faisait dans des conditions inhumaines : l’entassement à 7 ou 8, dans des cellules de 2m sur 3 où l’on ne pouvait pas s’allonger. Une eau tiède en guise de petit déjeuner, une soupe claire à midi, une petite tranche de pain et un dé de margarine ; le soir… la vermine, les punaises qui vous tombent dessus toute la nuit. Pas de toilettes, pas de lavabo, pas de sortie, pas de nouvelles de la famille, pas d’infirmerie. Pas de jugement, pas de défense, et l’incertitude totale sur le sort à venir.
Des libérations avaient lieu quelquefois. Mais le plus souvent, on sortait de Montluc pour trois raisons :
La première, c’était pour les interrogatoires, qui se passaient dans les locaux de la Gestapo. Parfois, le parcours s’arrêtait là et l’on y mourait sur place, dans les caves, des suites des tortures infligées. Ou l’on vous ramenait en cellule, brisé, blessé, sans soin autre que la compassion de vos camarades, jusqu’à l’interrogatoire suivant.
La deuxième raison, c’était la déportation. On était appelé « avec bagage » et, là, se levait l’espoir d’un départ pour un ailleurs qu’on ne connaissait pas mais qui ne pouvait être pire…croyait-on !!! Commençait alors le voyage dantesque, d’abord relativement humain jusqu’aux camps de transit. Ensuite, c’était le début de l’apocalypse, dans les wagons à bestiaux, plusieurs jours sans air, sans eau, sans nourriture… avant l’arrivée, pour les survivants, dans les camps dont on connaît les terribles conditions d’avilissement et d’extermination.
Enfin, troisième départ, c’était celui « sans bagage » qui vous menait, en camion bâché, jusqu’à un lieu d’exécution dans les environs de Lyon : 35 lieux de massacre ont vu périr 600 prisonniers, des charniers de Bron, de La Doua, à ceux de Communay, de Roche-Croix Chatain, de Châtillon-d’Azergues, et encore Lissieu, Limonest, ….jusqu’à la dernière tuerie de Saint-Genis-Laval, le 20 août 1944, où plus de 100 prisonniers de Montluc furent exécutés, brûlés, certains encore vivants, au Fort de Côte-Lorette…
Montluc ne devait pas garder ses prisonniers, il fallait de la place, toujours plus de place pour plus d’arrivants, jusqu’à ce jour du 24 août 1944 où, devant l’avance alliée et les menaces de représailles des forces de la Résistance, les Allemands abandonnèrent les 850 prisonniers restants.
Pour eux, ce fut la fin du cauchemar, mais pas pour les milliers qui ne revinrent jamais ou qui souffrirent encore de longs mois avant un retour à l’état de squelette, à jamais marqués dans leur chair et leur esprit. Certains décédèrent juste après leur rapatriement ou peu de temps après.
Dès septembre 44, les rescapés de Montluc se rassemblèrent en association, et jurèrent de conserver la mémoire de toutes les victimes passées dans ce triste lieu.
Au début, l’Association fut un moyen d’entraide et de recherches car bien des familles ignoraient le sort fait à ceux qui n’étaient pas rentrés. Par la connaissance de leurs camarades d’internement, les survivants fournissaient des traces précieuses.
Aujourd’hui encore, nous continuons à constituer une liste des prisonniers qui n’a jamais été retrouvée.
L’Association est aussi un lieu de témoignage, de constitution de l’histoire, car celle-ci prendra bientôt le pas sur la parole vivante des acteurs qui s’éteignent inexorablement. C’est pourquoi nous recueillons toujours un maximum de récits, de biographies, de portraits d’époque, avec l’objectif de publier bientôt le recueil le plus complet possible du « peuple de Montluc », pour que lui soit rendu un hommage justifié, pas seulement aux quelques-uns d’entre eux passés à la postérité : les Jean Moulin, Marc Bloch, de Lattre de Tassigny, Raymond Aubrac… mais surtout aux milliers d’anonymes qui ont connu les mêmes souffrances et ont droit à la même considération. A ce titre, nous avons réclamé et obtenu en 2010, la création du Mémorial de Montluc, lieu désormais protégé, qui conserve à jamais la trace de cette période tragique.